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Historique des recherches

Les premières fouilles débutent à la fin du XVIIe siècle sur les sites des thermes et du théâtre.

Du XVIIe au XIXe siècle

En 1627[1] et 1642[2], le cartographe Nicolas Sanson, en se référant à la Table de Peutinger et l’itinéraire d’Antonin, localise la ville antique d’Alauna sur la commune d’Alleaume, où émergent les restes de murs antiques et le relief d’un théâtre. L’idée d’une ville antique à Alleaume sera ensuite, dès 1688, reprise par Louis Le Vavaseur de Masseville[3], qui évoque « quelques pans de murailles, où l’on distingue encore une structure digne des Romains. La tradition nous apprend que c’estoit la forteresse de la ville de Longne,[…] ».

Table de Peutinger

Les premières fouilles archéologiques interviennent, en septembre/octobre 1695, sous l’égide financière de Nicolas Joseph Foucault, intendant de la généralité de Caen. A cette occasion, le Père Dunod, responsable sur le terrain, attribue les ruines du “vieux Château” aux vestiges d’un balnéaire antique. Ses recherches s’avèrent conséquentes ; elles permettent le dégagement complet du théâtre, l’identification d’un mur monumental à la Victoire que le Jésuite attribue aux reliques d’une “citadelle”, et, la mise au jour d’un système de chauffage par le sol (hypocauste) appartenant à une “maison de quelque conséquence autrefois »[4]. Le plan de ce dernier vestige autorise aujourd’hui à interpréter cet édifice comme une domus ou de seconds thermes publics ; malheureusement, le Père Dunod ne laissera que peu d’indices concernant la localisation de cette dernière découverte.  

Il faudra ensuite attendre le XIXe siècle, et les recherches de Charles de Gerville, pour obtenir de nouvelles données sur cette cité. Ses investigations seront, pour l’essentiel, tournées vers une meilleure perception de l’emprise de l’occupation. Copie du cadastre à la main, l’antiquaire valognais prospecte ou fait prospecter sur le périmètre et en périphérie de l’agglomération, reporte les zones de concentrations de débris romains sur un plan et estime la superficie d’Alauna à plus de 400 hectares[5]. En parallèle, il entreprend des surveillances de travaux, assorties de constats de destructions sur les thermes et le théâtre. C’est dans cette dynamique qu’en 1845, la Société des Antiquaires de Normandie commandite de nouvelles explorations de terrains. Arsène Delalande[6] sera responsable des investigations, sous « contrôle » de Charles de Gerville, alors trop âgé pour les entreprendre lui-même. Elles concerneront le « mur de la Victoire » et le théâtre, mais auront surtout l’intérêt de proposer une exploration des parcelles en marge des édifices publics déjà explorés au XVIIe siècle.

Au XXe siècle

Il s’écoulera ensuite plus d’un siècle avant que de nouvelles recherches redynamisent l’intérêt des historiens et des archéologues pour Alauna. Elles sont effectuées entre 1954 et 1968 par Eugène Demazure, Louis Dorléans et Jacques Macé, sous la forme de surveillance de travaux et de prospections. Malgré tout, ce sont une nouvelle fois le théâtre et les thermes qui focalisent leur attention et qui font l’objet de nettoyages et de sondages.

Avec Charles Butel en 1981 et Joseph Decaën en 1982, deux interventions limitées permettent d’entrevoir la nature et l’état des vestiges hors de l’influence des deux grands monuments emblématiques. La première a révélé, sous la cour de la ferme du Bas Castelet, deux murs d’orientation est/ouest, parallèles et distants de 5 mètres, dont l’un dispose d’un enduit de tuileau. Deux maçonneries perpendiculaires viennent compléter cet ensemble qui n’est pas sans évoquer un bâtiment compartimenté pourvu de thermes. Il se pourrait que cet édifice corresponde aux vestiges exhumés par le Père Dunod au XVIIe siècle et mal localisés. La seconde intervention concerne le « mur de la Victoire » ; elle a révélé des fondations légères et les vestiges d’un puits.

Entre 1989 et 1999, profitant d’un projet de mise en valeur annoncé par la municipalité, trois campagnes de fouilles et des recherches approfondies sur les thermes sont conduites par Thierry Lepert (DRAC). Elles permettent de les étudier intégralement et de construire le premier diagramme chronologique valide de l’édifice. Des sondages et des surveillances de travaux contribuent également à une première délimitation fine de l’agglomération, dont la surface est alors estimée à une quarantaine d’hectares.

Entre 1997 et 1999, Ludovic Le Gaillard et Nicolas Navarre engagent une prospection thématique. Elle débouche sur un recensement exhaustif de toute la documentation disponible, sur des tentatives de relocalisation des découvertes anciennes et sur la production de plans de synthèse géo référencés. En 1999, ils font réaliser une prospection géophysique sur 1.5 ha. Celle-ci confirme l’existence d’un potentiel archéologique et, du flou des mesures électriques et magnétiques, émergent les premières radiographies d’un schéma urbain où s’associent réseaux de voies et maçonneries.

Aujourd’hui

En intégrant les acquis antérieurs, un nouveau programme de recherche s’est ouvert dès 2012, sous la direction de Laurent Paez-Rezende, Laurence Jeanne et Caroline Duclos, avec l’aide financière du Conseil Général de la Manche et du Ministère de la Culture. Il s’est fixé pour objectifs de mesurer l’extension de la ville gallo-romaine, d’évaluer la densité de son occupation, d’appréhender les grandes phases chronologiques de son évolution, de préciser l’état de conservation des vestiges et de parfaire la connaissance de ses édifices publics.

Apport du nouveau programme de recherche

Après une année de prospection thématique et géophysique (2012) et trois années de sondages (2013-2015) les données sur la ville antique ont été complètement renouvelées.

L’emprise de la ville atteint alors 45,9 ha et le réseau des rues fait désormais apparaitre une planification sur le cœur de la ville.

L’amplitude chronologique de l’activité urbaine est étendue de deux siècles et désormais comprise entre le milieu du Ier s. av. J.-C jusqu’à la fin du IVe s. apr. J.-C. Des indices d’occupations gauloises sont par ailleurs mis en évidence sur environ 50 ha, dont une partie sous la ville antique, tandis que des traces de fréquentation sont attestées durant le Haut Moyen-Age probablement liées à la récupération des matériaux de construction.

La nature et l’ampleur des constructions, notamment des habitats, comme des activités sont mieux identifiées. La stratigraphie, la densité des vestiges et l’état de conservation sont désormais documentés et sectorisés.

Enfin, les sondages sur le théâtre ont permis de le positionner spatialement, de réviser son plan, de préciser son architecture, de dresser son état sanitaire et d’établir sa chronologie.

En 2017, une prospection des 4 ha du cœur de ville, seule zone non investie par les sondages, et où était suspecté l’emplacement du forum, a été réalisée par la société SOT Archaeological Prospection (Barcelone). Les résultats ont dépassé nos attentes en termes de réponse des terrains et de qualité d’information sur les vestiges puisqu’ils apportent des avancées tout à fait significatives sur la composition architecturale et monumentale des insulae du cœur de ville, et permettent de discerner les architectures publiques des constructions privées.

Deux grands complexes se distinguent alors particulièrement. Ils correspondent à deux ensembles monumentaux se développant sur la bordure orientale du cardo maximus. Le premier est, sans conteste, un sanctuaire de 3 780 m², mesurant 70 m sur 54 m.

Le second édifice complexe est un forum de 6 335 m², mesurant 96 m sur 67 m. La présence de cet édifice public était suspectée depuis l’interprétation des résultats d’une prospection électrique conduite en 2012 qui suggérait l’existence d’un centre administratif et politique.

Dans les insulae limitrophes, plusieurs groupes de maçonneries vastes et complexes ont été interprétés comme de grandes domus urbaines. Enfin, de probables locaux d’artisanat ou à vocation commerciale, comparables à ceux de Rennes ou de Carhaix, ont également été relevés.

Vidéo sur la prospection géoradar de 2017 – vidéo SOTprospection

[1] Sanson d’Abbeville Nicolas, 1627 : Galliae celticae pars occidentalis, ubi rebus gallorum florentibus, Armoricae Civitates, in quibus clarissimi Populi Cenomani et Veneti sub Romanorum Imperio Provinciae Lugdunenses duae Secunda et Tertia, quae Populos Majores Septemdecim Continebant Viae Militares Romanorum Ex Tabula Peutingeriana et ex Antonino Describuntur.

[2] Sanson d’Abbeville Nicolas, 1642 : La Gaule Par les itinéraires Romains d’Antonin, et de la table Itinéraire, 1642, chez M. Tavernier.

[3] Masseville Louis Le Vavasseur de (1648-1733), 1688 : Histoire sommaire de Normandie, 1re édition, t. I, Rouen, Veuve d’Antoine Maurry et Pierre Ferrand, 1688, p. 310-311

[4] Raguet Gilles-Bernard, 1695 :Lettre adressée à Nicolas-Joseph Foucault sur les découvertes faites à Alauna en 1695, septembre-octobre 1695. Bibliothèque nationale de France, manuscrit français 17 711, f. 203-213.

[5] Gerville Charles Duhérissier de, 1827-1828 : Copie manuscrite d’une partie du cadastre d’Alleaume, avec annotation des parcelles ayant livré des “débris romains”. Archives départementales de la Manche, fonds Gerville, cartes et plans, fin des années 1820.

[6] Delalande Arsène, 1846 : Rapport sur les fouilles exécutées à Valognes (Alauna), le 20 mars 1846. Archives départementales du Calvados, 83 F 810 (archives de la Société des antiquaires de Normandie), manuscrit ; publié sous le titre « Rapport sur les fouilles exécutées à Valognes », in Mémoires de la Société des antiquaires de Normandie, t. XIV (1844), 1846, p. 317-331.